(Re) découverte de Moscou en dix jours : 16-18/04/11
16/04/2011 Beaux-Arts
Caractéristique de la journée ? On voit plein d’adolescents partout, c’est signe de début de week-end. Nous nous rendons directement au Musée des Beaux Arts Pouchkine.
Devant le musée, ça pense, ça cogite en français...
En chemin : nous découvrons la cathédrale du Christ-Sauveur. Et si je vous disais que ma mère s'est baignée au même endroit dans les années 70... A l'époque c'était la plus grande piscine circulaire d'Europe. La cathédrale - projet prévu dès l'origine mais rendu impossible par la présence de marais - l'a remplacée en 1994 pour le plus grand soulagement des fidèles. C'est maintenant la cathédrale principale de Moscou.
C’est une véritable épreuve car les époques sont mélangées et il n’y a pas de sens de circulation logique. Il n’y a rien de russe non plus à l’intérieur mais des antiquités étrusques, grecques, égyptiennes ainsi que du mauvais Rembrandt.
Heureusement, une des « mamies » du musée nous suggère de visiter l’autre partie du musée, la partie impressionniste située dans un autre pâté de maisons.
Je ne veux pas relancer le débat sur l'utilité de l'Art mais là j'en vois une ;-)
A partir de ce moment, je replonge dans le bonheur total, dans mon syndrome de Stendhal… Le musée est très bien agencé en paliers autour d’un grand escalier central. Aussi lumineux que vide de visiteurs. Un tableau de Daubigny attire mon attention dans la première salle. « Attends deux secondes, mais c’est ma ville représentée là !! ». Ca, c’est un cadeau que seuls les voyages savent faire.
200 ans après, ça n'a pas encore trop changé.
Nous retournons manger dans la rue Arbat au même endroit que la veille. On peut être de passage tout en se constituant des habitudes et en se faisant reconnaître. C’est parmi les charmes des voyages. J’avais ressenti cela au Caire quand on rentrait le soir dans notre petit hôtel et que les commerçants alentours nous faisaient des petits signes entendus ou nous invitaient à partager un thé.
Deux vues différentes de la rue Arbat.
Nous sommes déçues également par la maison-musée Gorki. Disons qu’elle est intéressante sur le plan architectural mais elle nous donne le cafard tant elle est sombre et dépouillée. On en sort très vite.
Triste maison-musée Gorki !
Irina nous a conseillé une de ces grandes librairies moscovites ouvertes 24h/24. Elle s’appelle tout simplement « Livres ». J’achète pour mon fils et moi-même des livres pour enfants. Un abécédaire et un livre d’images premier âge.
Une petite balade et nous nous rendons au théâtre de marionnettes. Le spectacle n’est qu’à 18 heures mais il y a un sympathique petit musée à visiter avant.
Le spectacle « Les Voyages de Gulliver » est relativement moyen comparé au superbe « Dom Juan » que nous avions vu à Prague avec maman.
La façade animée du théâtre de marionnettes
Notre spectacle : les voyages de Gulliver !
Après une pause repas, nous nous mettons en quête d’un beau bouquet de fleurs pour Irina. C’est une manière de la remercier de ses bons conseils mais aussi des petits services qu’elle nous rend spontanément comme laver notre linge ou nous proposer une boisson chaude chaque soir. Irina est touchée par notre geste.
Nous devons sonner à plusieurs reprises pour rentrer dans l’appartement, la serrure tourne à vide. On taille une bavette avec notre hôte. Elle ne partage pas notre avis sur la qualité de vie moscovite pour les touristes. Selon elle, si tout est si calme, c’est soit parce que les gens sont au travail, soit parce qu’ils sont partis dans leur datcha, leur maison de campagne. J’ai remarqué que ce mot est hautement péjoratif si prononcé par un individu ne possédant pas de datcha. En fait, la datcha est synonyme de richesses, de vie privilégiée. « Mais Irina, on était en semaine… ».
Enfin pour la première fois également, nous entendons des éclats de voix chez les « voisins du Kommunalka » ou « colocataires ». On ne sait comment les appeler. Il est bien tard et un petit garçon d’environ huit ans pleure sans discontinuer. Nous nous hâtons de nous coucher car un planning chargé nous attend le dimanche.
17/04/2011 Inoubliables Rameaux
C’est une journée tout à fait exceptionnelle qui nous attend. J’ai des frissons rien qu’à l’idée de devoir la décrire parce que c’est l’ambiance immatérielle, spirituelle et religieuse, familiale aussi, qui m’a touchée. Dur à coucher sur "papier". Le beau temps supposé et le meilleur des hasards - nous sommes le jour des Rameaux, une célébration religieuse peu suivie en France mais tout à fait incontournable en Russie -, nous décident aisément à sortir de Moscou et à nous rendre au Monastère de Sergueï Possad (anciennement Zagorsk) en train.
Nous avons tout fait pour dissuader Irina de se lever pour nous préparer le petit déjeuner. On l’a suppliée de s’octroyer une grasse mat’. On est dimanche ! Mais, il n’y a rien à faire, elle tient à se réveiller. Nous émergeons donc à 7 heures et prenons un soin infini à ne réveiller personne dans cette grande maisonnée. Mourzik gratte à la porte comme s’il attendait ce moment depuis la veille.
Nous levons les voiles vers 8 heures direction la Gare de Iaroslavl, une des "Trois Gares" qui se font face avec Leningrad et Kazan, le train partant à 9h07. Cela dit, nous arrivons facilement à prendre celui de 8h55.
Il est loin d’être plein. On s’installe sur ses vieilles banquettes à la mince couche de mousse affaissée. Elles font leur œuvre. Il y aura 12 arrêts pour 74 km. Trajet aller : 1 heure 20.
Une fois n’est pas coutume, je mets quelques hits des années 90 dans les oreilles, il ne me faut que du mellow ce matin et leurs rythmes lents vont en cadence avec le train.
Dans les forêts de bouleaux alentours, la neige persiste. Pour la première fois, des signes bien visibles des grands incendies de l’été 2010. Les fines silhouettes des bouleaux brûlés donnent un air triste à la campagne de l’Anneau d’Or. Les incendies n’ont pas engendré de « trou d’arbres » à cet endroit mais un mélange clairsemé d’arbres sains et d’arbres carbonisés.
On arrive bientôt à SP qu’on devine envahi par les touristes l’été (mais là absolument pas) au vu des nombreuses échoppes ça et là. On commence par se prendre un petit café dans un tout petit restaurant perdu au milieu du marché, à peine fléché. On tombe sur une adorable femme originaire du Tadjikistan. Ce qu’elle prépare sent délicieusement bon. On se lie très vite et elle raconte brièvement à maman sa vie. Mère de quatre enfants, elle ne trouvait aucun travail malgré son statut d’institutrice donc elle a fait le choix difficile de s’expatrier en Russie et est devenue cuisinière salariée. « Venez me voir là-bas, j’ai quatre sœurs toutes éduquées, une d’elles est même professeur en faculté. En plus, c’est un pays où il n’y pas de guerre ! ».
A défaut de lui promettre de nous rendre au Tadjikistan, on s’engage avec plaisir à revenir manger le midi. Le splendide Monastère se trouve à une dizaine de minutes à pied de la gare. Tout le monde se signe avant d’entrer dans l’enceinte fermée.
Maman gardait un souvenir complètement fou de cet endroit difficilement toléré par le régime soviétique. Elle se souvient [pardon cher lecteur] des vieilles femmes qui embrassaient avec dévotion les saints peints sur les murs, les recouvrant littéralement de bave. Et de la sévérité, la rigueur et l’austérité des popes.
Beaucoup de vendeurs ambulants en chemin
L'entrée principale
Avant d’entrer, je me sens déjà complètement imprégnée par cette vénération, cette piété environnante, aussi simple qu’épurée. Nous n’oublions pas de couvrir nos cheveux d’un foulard par respect pour ce lieu saint. Je décide de prendre un droit d’entrée de 100 roubles (2,5 €) pour mes photos et l’ecclésiastique me tend un CD de musiques orthodoxes accompagné d’un « petit cadeau ! » prononcé dans un français parfait. Sympa.
Un inconvénient des Rameaux : les offices sont surchargés et on ne peut plus entrer dans la majorité des églises. Néanmoins, on passera un long, très long moment dans un coin de l’église de l’Assomption « juste pour observer le culte ». Les reliques des saints ne sont non pas « embrassées » mais « baisées avec passion » et chacun va allumer et placer son cierge avec grande précaution. Sans se douter qu’il sera éteint et jeté l’instant d’après par une des employés du Monastère. Tout un chacun porte à la main quelques courts bouquets de Rameaux, des branches de saule.
Queues interminables en ce jour de Rameaux
Un moment fabuleux, vraiment, même pour l'athée que je suis
L’ambiance est intimement festive. J’aurais jamais cru écrire ça un jour mais elle est comme ça, exactement comme ça.
Puis comme promis, nous rallions notre restaurant où notre adorable femme tadjik nous prépare des salades et un plat d’escalopes de veau avec amour. Retour dans le Monastère (l’entrée est libre). On achète un des deux gâteaux traditionnels de Pâques, le Koulitch, une brioche dense et cylindrique glacée sur le dessus avec les inscriptions XB, « Le Christ est ressuscité ». Il est réalisé au sein du Monastère et vendu à son profit 250 roubles. Pour moi, un cousin du Kouglof, aussi bon parce que pas trop sucré. L’autre gâteau traditionnel, la Pashka, étant encore introuvable (trop tôt) et intransportable (pyramide de fromage blanc travaillé et égoutté).
J’ai oublié de préciser que la journée est superbe. Pas caniculaire non ! Mais ensoleillée… Ce beau temps nous incite à ne pas rentrer trop tard pour profiter encore de Moscou. Direction une boutique artisanale où nous ne trouvons que des objets « Made in Russia ». J’y trouve des matriochkas adorables qu’Irina prendra plaisir à ouvrir et refermer. Vraiment un objet magique.
Cette même soirée, j’en profite pour lui parler d’un artiste russe que j’adore, Alexandre Konstantinovitch Petrov et notamment son extraordinaire court métrage d’animation réalisé en 2006 « Mon Amour » « Moya Lyubov ».
En fait, Petrov peint du bout de ses doigts sur une plaque de verre des dizaines de milliers de tableaux. Ces derniers photographiés et compilés constituent des films d’animation d’une rare poésie, d’un onirisme à vous ouvrir le cœur en deux, sans compter une fluidité inédite. Bref, tapez « Petrov » d’urgence sur votre moteur de recherche favori et régalez vous !
Encore sous le charme de Sergueï Possad et d'avoir revu le conte d’amour de Petrov, je pars me coucher, des étoiles pétillants dans ma petite tête.
18/04/2011 Cold Novodievitchi
J’ai réussi à patienter jusqu’au petit-déjeuner pour goûter le koulitch. Vraiment très bon même quand Irina m’a dit d’un air particulièrement dramatique « dedans, beaucoup beaucoup de beurre, et des œufs, DES ŒUFS ! ».
Sur ses indications, nous nous rendons à un supermarché tout proche, habilement caché au premier étage d’une galerie commerciale. Je ne pourrai vous le réécrire en phonétique russe mais il se nomme « carrefour ». Alors je ramène de la vodka parfumée au cèdre, des chips « saveurs locales » au crabe et aux œufs de saumon, et – Russie oblige – ce que j’ai pris pour du paprika et qui était (bouh !!!) du chili…
En chemin, petit souvenir des Rameaux.
Puis nous nous dirigeons vers la banlieue sud de Moscou, métro Sportivnaya. Au loin, le fameux stade olympique. Maman me montre des patateries. Ce sont des sortes de petites roulottes vitrées dans lesquelles on peut manger sur des tabourets hauts des variantes d’un mets, des blinis par exemple.
Au métro Sportivnaya, on a cru à une journée "chaude" (12°C) mais c'était un leurre...
Incroyable de penser qu’un pareil joyau se cache dans cette zone HLM, coincée entre deux voies rapides… Nous voilà bientôt arrivées dans le monastère préféré des moscovites : Novodievitchi.
C’est encore un ensemble cerclé d’une muraille composé d’églises, bâtiments, tours, tombes, massifs de plantes. Il est vrai que Novodievitchi est particulièrement délicat, terriblement au goût du jour avec ses tons bordeaux et crème. Malheureusement il fait un froid terrible et un vent comme on dit en Normandie « à décorner les bœufs".
Malgré tout, on devine combien l’endroit est magnifique en été. On nous avait dit qu’il fallait ¾ d’heure au minimum de visite mais tout est fermé à l’exception de la « Tour de Sophie » qui abrite une exposition temporaire de peintures. Oui, vous devinez que cette fameuse Tour renferme une énième histoire sordide. Tout semble rouvrir en mai.
Lac gelé et immeubles type HLM juste derrière le monastère.
Un petit tour du quartier et nous franchissons les portes du très fameux cimetière Novodievitchi qui est un croisement entre le Père Lachaise et le Panthéon. Les bulbes commencent tout juste à émerger. Il y a de minuscules pousses vertes partout. Tellement de vent encore qu’une grosse branche d’arbre vient se briser sur un vase funéraire qui éclate à quelques centimètres de moi. Beaucoup d’hommes célébres vivent ici un paisible repos éternel. Non loin, une tombe toute fraiche, recouverte de centaines de fleurs, celle de Lyudmila Gurchenko, une actrice, artiste du peuple russe. Oui, je me souviens d’avoir vu passer la nouvelle de son décès dans le fil d’info de Ria Novosti. Le virtuel croise le réel.
Le temps se gâte. On quitte à regret ce cimetière hors pair pour se réfugier dans un restaurant uzbek. Le temps est tellement épouvantable, exécrable, qu’on va chercher sur le fil notre papier d’immigration. On voulait vraiment aller se balader sur le « Mont des Moineaux », un parc situé non loin de l’Université et surtout offrant – apparemment – une vue panoramique de la ville. De nombreux russes nous ont conseillé de le faire. L’Université étant une curiosité en soi, un des septs imposants buildings construits sous Staline et facilement reconnaissables dans la ville.
Lors d'un second voyage à Moscou en 2014, j'ai eu l'immense surprise de résider dans l'un des sept buildings. Étant arrivée de nuit, je ne m'en étais rendue compte que le lendemain au réveil en apercevant mon massif balcon.
Un des sept gratte-ciels staliniens, emblématiques de la capitale.
Nous repassons par la place Lubianka à la recherche du magasin d’état « Diestki Mir », « Le Monde des Enfants » car je veux ramener des jouets à mon petit garçon. Incroyable que le pouvoir russe de l’époque l’ait implanté en face du siège du KGB… Il est en travaux jusque juin. Nous avons du mal à garder nos parapluies ouverts.
Notre seule préoccupation est de manger quelque chose de chaud et de rentrer nous mettre à l’abri. Le temps est exceptionnellement froid à Moscou cette année, tout le monde nous le dit. Ce même soir, nous décidons avec Maman de faire nos comptes de manière approfondie, afin d’éviter de changer à nouveau et de payer l’importante commission. On se calcule un budget de fonctionnement journalier que l’on essaiera de tenir.
A noter : malgré le froid exceptionnel, Maman retrouve une de ses nombreuses madeleines de Proust. Les tranches de glace russe type napolitaine qu'elle avait tant aimé il y a quarante ans. Il fait froid et alors...? Ne repoussons pas les choses, savourons les !
J'ai goûté : excellent !